By Michel Neumayer | Published | Aucun commentaire
Texte 1 (juillet 2025)
Il est étonnant qu’un rêve soit autant long. Un cauchemar qui s’étend déjà sur plusieurs années. Nous appelons la réalité haïtienne un rêve, puisqu’on ne peut pas comprendre comment le pays est-il devenu ce qu’il est aujourd’hui, dans si peu de temps. Et le plus mystérieux c’est la facilité avec laquelle la réalité perdure : la terreur ne se borne pas, la conquête de territoires par les gangs ne s’arrête pas. En effet, la commune des Verrettes, principale zone d’exécution du projet de formation d’enseignant-es que nous réalisons avec l’appui financier de Eirene Suisse, est maintenant comme l’intérieur d’un sandwich : ses communes voisines sont toutes devenues territoires perdus (occupées par les gangs). La commune de Petite-Rivière de l’Artibonite, limitrophe et située au nord des Verrettes, a connu d’autres journées et nuits noires. Le Gang Gran Grif de Savien a de nouveau attaqué cette commune le 30 avril. Des maisons incendiées, des morts, des viols, des kidnappings et des blessés ont été signalés. Des milliers de résidents ont fui, beaucoup se sont dirigés vers Verrettes. Le dimanche 22 juin, c’était le tour de La Chapelle, une autre commune voisine limitrophe située à l’est de Verrettes. Cette dernière est désormais sous le contrôle des bandits armés. À Liancourt, une ancienne section communale de Verrettes qui est devenue commune, le calme apparent qu’il y avait depuis quelques mois n’existe plus. Le gang de Savien entend à tout prix reprendre le contrôle et se bat avec acharnement contre les policiers et le groupe d’autodéfense. Dans la résistance contre ces malfrats, au moins trois (3) policiers ont perdu leur vie le mardi 22 juillet. Désarmes, un quartier de la commune des Verrettes résiste depuis un mois aux attaques d’un autre groupe de gang dénommé Taliban. Ils sont dans quel projet ? Ils travaillent pour qui ? Avec qui ont-ils affaire ? Ces questions sont régulièrement posées. Mais en vain. On sait juste qu’en plus des autres impacts l’école paie les frais des violences : report des rentées, arrêt répétitif et fermeture prématurée dans certains endroits. Tout cela donne à réfléchir sur l’avenir de l’éducation en Haïti. Le seul espoir est le fait que, même dans ces circonstances, dans ses jours macabres, l’haïtien, livré et oublié par l’État, affiche sa volonté de vivre et d’exister.
Photo publiée dans Africannews 2024
Haïti : l’ONU rapporte une situation « extrêmement préoccupante »
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TEXTE 2
Publié dans Dialogue no 180
L’ampleur de la réalité actuelle en Haïti me donne l’impression que le titre de l’article que j’ai écrit, publié au numéro 180 de la revue Dialogue : « Une vie dans la guerre, Haïti », a été une précipitation. On se sentait réellement dans une situation de guerre. Mais de 2021 à aujourd’hui, ce qu’est devenu le contexte est innommable. Je me demande si l’article suivant, que j’invite à lire, est-il une précipitation ou une anticipation ?
Une vie dans la guerre, Haïti
Il y a lieu d’être très inquiet. Nous sommes en train de vivre la guerre à l’intérieur même du pays, vu la situation délétère à laquelle nous faisons face. La guerre, en ce sens, nous devient ordinaire, elle est dans notre quotidien. On a l’impression d’être, au sens hobbesien du terme, dans un état de nature. L’État est quasi inexistant. Ce qui fait que, si la guerre dont nous parlons concerne d’abord la non-garantie du droit à la sécurité, elle n’est pas sans conséquence sur la qualité de rendement en général et plus particulièrement sur la qualité de l’éducation que reçoivent nos enfants. Quand on commence une journée de classe, on doit attendre sa fin pour la compter comme réalisée. Une situation qui défie même les données scientifiques. Depuis environ deux ans, on n’arrive pas à faire plus que la moitié des jours de classes prévus par le calendrier scolaire. L’avenir de l’éducation paraît de plus en plus en plus menacé. Dans cette société très polarisée, où seuls les intérêts des groupes priment, la lutte égoïste pour la place est la principale source de nos malheurs. Pas de promotion de valeurs. On veut tous atteindre, sans vouloir remplir des conditions, une place, qui peut être un héritage lié à la couleur de la peau ou obtenu par la richesse. La volonté d’y parvenir ne laisse pas de place à la tolérance. La violence commence par triompher. La commande est dès lors aux gangs.
Dans nos écoles, la facilité est priorisée au détriment de l’important et s’exprime même dans les méthodes d’enseignement. Au lieu d’être des participants dans les salles de classe, les élèves deviennent des spectateurs. Un professeur qui décide de faire autrement s’isole par rapport aux pratiques. C’est notre cas. En choisissant de faire autrement, nous risquons d’être mal compris, aussi bien par les apprenants que par des collègues ou responsables d’établissement.
Face à cette situation permanente de guerre, nous, promoteurs de l’Éducation Nouvelle, devons jouer un rôle médiateur, regarder toutes les alternatives possibles dans la situation de guerre actuelle, mais aussi prévenir, anticiper celles qui pourraient arriver, par la dénonciation, la formation. C’est pour cela que nous nous engageons dans une lutte visant à agir sur cette réalité. En effet, régulièrement, nous offrons des formations pédagogiques aux enseignants, car ils n’ont pas, majoritairement, de formation initiale. La culture de la bienveillance, le civisme, la tolérance, la valorisation des autres et de leurs droits, l’entraide traversent toutes ces formations.
Joel Saintiphat