By Michel Neumayer | Published | Aucun commentaire
L’École maternelle Gardienne… Occupationnelle… Technique… Préparatoire… Compensatoire… ? De tout un peu ? (Un texte en plusieurs parties)
Certains lieux d’enfance sont déjà des écoles. On y trouve un melting-pot d’occupations variées, prévues par un adulte omniprésent : un peu de jeu, un peu de techniques, un peu d’apprentissages programmés, un peu d’individualisation compensatoire des handicaps socioculturels, tout cela lié à la sauce de l’épanouissement personnel
Les pièces de ce puzzle sont destinées à former l’image de l’écolier parfait qui chante la mélodie du bonheur voulue par la société.
Peut-on parler d’échec, d’exclusion ? Certains bambins arrivent à comprendre ce que l’école attend d’eux, ils deviennent trop tôt des « écoliers », Ils apprennent à faire semblant pour plaire et s’attribuer les mérites. D’autres, en revanche, un pourcentage important, renâclent, se rebellent, s’isolent. Ils sont vite mis au pas. Ils ingèrent dès 3 ou 4 ans l’idée que leur image ne sera jamais belle !
Quel milieu éducatif a nos préférences ?
Le sous-titre « Citoyens dès la maternelle », marque notre option : habituer peu à peu les enfants, dès leur plus jeune âge, à participer aux décisions, à défendre leur point de vue, à organiser la vie sociale de la classe, à choisir ce qui leur plaît et à assumer leur choix, à communiquer leurs émotions quelles qu’elles soient, à écouter les autres, à prendre la parole pour dire ou défendre leur point de vue, à jouir des droits et devoirs inhérents à leur vie d’enfants
Il est bien évident que, dans cette vie, que nous décrirons comme un feuilleton, la place de l’adulte est importante. C’est lui, qui est garant de l’apprentissage de la démocratie, du respect de l’autre, du droit à l’erreur aussi bien dans les apprentissages répertoriés que dans l’apprentissage de la vie sociale et dans la construction, petit à petit, de la culture de paix et de la solidarité.
Dans cette organisation centrée sur la société d’enfance, le jeu et l’expression sous toutes leurs formes sont les fondements essentiels de la construction harmonieuse des diverses personnalités.
Donc : peindre, chanter, écouter une histoire, jouer dans le sable ou dans l’eau, bricoler, danser, sauter, grimper, se cacher, regarder des livres, écrire, lire, compter, mesurer pour de bon, élaborer des projets, écouter ou jouer de la musique, se rassembler ou s’isoler etc. ne s’expérimenteront qu’à travers une organisation participative où enfants ET adulte proposeront des activités, des sorties, des regroupements, chacun ayant voix au chapitre et argumentant ses désirs ou ses refus
Jeu et expression seront valorisés par l’enrichissement du milieu ambiant, sollicités par les suggestions des pairs et de l’adulte, accueillis sans jugement de valeur (c’est aussi bien de jouer à la poupée, même à 5 ans, que de s’essayer au graphisme…).
Jeu et expression seront vécus en groupements multi-âges, hétérogènes, riches de diversités culturelles familiales et/ou ethniques riches aussi de compétences variées où les modèles de références ne sont plus seulement les stades d’apprentissages programmés et l’adulte mais les chemins sinueux de l’expérimentation, avec l’adulte mais aussi les pairs.
Petit à petit, ensemble, nous dépasserons le spontané par le construit, construit qui poussera dans un terreau venu de la vie enfantine, oserions-nous dire « écologique ? » puisé dans les forces vives des enfants et non dans le puits sans fin de la pré-programmation externe. Fondations solides sur lesquelles les apprentissages conceptuels ultérieurs pourront ériger une connaissance dense, créative, et solidaire si toutefois le culte de l’évaluation notée ne la sape pas telle une horde de termites s’attaquant aux structures de l’édifice.
Ainsi se termine ce prologue.
Suite aux prochains numéros au cours desquels des séquences de classe, des témoignages d’enseignants, de parents, des anecdotes, des récits de heurs et malheurs vécus lors des changements… accompagnés de réflexions théoriques, seront proposés à votre lecture bienveillante.
Nous ne pouvons pas citer différents outils au service d’un apprentissage de démocratie participative au jardin d’enfance sans en préciser quelques principes.
Nous pensons que l’apprentissage de la gestion participative se doit de n’être pas un piège, destiné à récupérer le jeu et l’expression. Non, l’activité enfantine ne sera pas au service d’une éducation scolarisante au plus mauvais sens du terme, l’adulte étant le seul qui saurait ce dont l’enfant a besoin à chaque moment de la journée.
Cette croyance en l’indispensable contrôle ne viendrait-il pas de la crainte que nous avons que le petit d’homme soit trop jeune, trop jouette, trop paresseux, trop timide, trop… en un mot que nous ne lui faisions pas confiance ?
Prenons le postulat que si l’enfant s’apprend bien à marcher, à parler, à imiter, à jouer parfois pendant des heures avec quelques babioles sans s’ennuyer, il saura s’apprendre à vivre un partage d’expériences démocratiques. Il sera capable de gérer lui-même les divers contenus que cette organisation participative lui proposera. La curiosité et l’envie d’apprendre constituent la motivation d’incitation, celle-ci prévaudra sur une exercisation précoce pilotée par une motivation d’excitation, sanctionnée par des récompenses, des félicitations, des réprimandes, des grilles d’observation, des tests, des communications aux parents…
L’enfant apprend tout par lui-même mais pas tout seul. Bref : « Tous capables, avec les autres » !
Journal de classe (cahier journal) :
Outil construit en commun, en concertation.
Avoir une vue sur le court et moyen terme, se projeter parfois pour la semaine entière, c est déjà possible si les enfants perçoivent le sens d’une chaîne d’activités. Ils peuvent aussi faire du lien entre les activités proposées, le projet de grand groupe, les aménagements de l’espace, reprenant les suggestions de l’adulte et des enfants. Tout cela s’affine petit à petit.
C’est idéalement une affiche de projet de vie de la classe, qui se complétera, se corrigera, s’illustrera au fil des jours. Elle se différencie de l’affichage au jour le jour par une ne perspective à plus long terme. Cet « hebdomadaire » ou « semainier » de classe remplacera le «quotidien». Il aidera à éviter la juxtaposition d’activités journalières. Il exercera les enfants à se projeter à plus long terme sur un fil conducteur, initiant les plus petits par l’accompagnement des aînés en cela plus performant.
Cette affiche se rangera à la fin de la semaine après avoir été commentée. Une nouvelle affiche prendra sa place sur laquelle s’inscriront les reports éventuels de la semaine précédente.
Panneau des activités et projets :
Aller à l’école, d’accord mais pour y faire quoi ? Que vas-tu faire à l’école demain ?
N’y a-t’il rien de plus désagréable que de ne pas savoir de quoi la journée sera faite, pour certains enfants de s’angoisser devant l’inconnu ? Donc logiquement la journée de demain sera organisée, avant de repartir. Sur le tapis de rassemblement, dans l’agora ou tout autre espace propice aux échanges.
Une règle de bois, où se fixeront les petits cartons permettra d’illustrer les différentes activités ouvertes pendant la journée.
Voici des activités de différentes sortes, chaque choix étant écrit et illustré sur un carton plastifié :
– Jeux symboliques : poupées, magasin, coiffure etc.
– Expression : peinture, dessin, modelage, cahiers de textes libres, bibliothèque, théâtre, musique, bricolage, etc.,
– Expérimentation-recherche : sable, eau, cuisine, menuiserie, matériel mathématique, etc. Plus le matériel est simple, abondant et polyvalent, plus il suscite l’initiative, les associations et les classements (kapla, cartons d’emballage, bâtonnets de dimensions variées…
– Jeux de société : cartes, jeux de coopération, puzzles etc. il est bon d’exclure ces jeux, soi-disant, éducatifs qui n’incitent pas à la recherche de solutions mais à l’effectuation programmée celle-ci ne demande qu’une seule réponse ; elle rétrécit drastiquement la recherche.
– activité libre représentées par un carton portant un grand ? Son choix permet à l’enfant de se dissocier momentanément de l’organisation pour s’isoler, se ressourcer, se reposer individuellement ou choisir une activité non programmée.
– Sorties et/ou jeux à l’extérieur
Projet en cours : Toute autre activité possible dans l’espace de la classe, entre ateliers permanents et ateliers ponctuels d’une ou plusieurs journées par exemple pour la réalisation d’un projet.
(Une classe connue de 28 enfants de 2 ½ à 6 ans avait dessiné une trentaine d’activités possibles).
Qu’est-ce qui n’est pas terminé et qui doit se prolonger demain ? Des réponses fusent :
– Moi avec Mélissa on n’a pas fini l’anniversaire de la nouvelle poupée…
– J’ai promis à Julien de lui apprendre à plier des avions…
– On doit faire les décors de forêt pour le théâtre de marionnettes…
– Les cahiers de textes libres à la disposition de tous plus ou moins jeunes… (instit)
– Moi, je veux jouer…
– …
Y t’il des projets de petits groupes ?
– Il ne faut pas oublier de mettre les gros cubes au tapis pour les petits…
– Arnaud et moi on voudrait jouer au foot…
– J’apporterai des ingrédients pour faire un gâteau pour la collation (instit.)
– Je propose un nouveau jeu de découvertes mathématiques (instit)
– …
Ensemble que vivrons-nous ?
– Il faut quand même lire des livres… je vais vous en faire découvrir un nouveau… (instit)
– Et raconter des histoires…
– Recevoir ma maman, dit Mélissa, avec ma « nouvelle » petite sœur…
– Ecouter le livre des « mots qui chantent »… (livre de poésie d’auteurs connus)
« Victor intervient : Moi, je n’ai pas envie d’écouter des histoires, j’aime mieux apporter mon nouveau livre et le regarder tout seul » !
Le débat est ouvert.
– Y a qu’à pas l’apporter si c’est pour lui tout seul !
– Il le regarde et nous on écoute le livre avec la maîtresse !
– Moi je veux bien qu’on lise mes livres quand je les apporte !
– Il pourrait le lire tout seul le matin et puis l’après-midi on écouterait tous la même histoire ensemble !
Proposition retenue, elle satisfait tous les protagonistes et évite le piège du vote majoritaire souvent frustrant.
Le plus important c’est de ne pas céder à la sacro-sainte loi de la majorité mais de chercher les solutions qui satisfassent tout le monde, l’art de compromis solidaire qui pousse à chercher ensemble des solutions plus intelligentes. Donc pas de vote mais ici la solution est trouvée et chacun est content… Gageons que son souhait étant rencontré, Victor demandera lui-même à ce qu’on lise son livre à tous. Le rôle de l’adulte ici c’est de ne retenir que les propositions négociées et pacifiantes, c’est en son pouvoir et il doit en user. C’est lui qui forme à la citoyenneté car celle-ci ne naît pas spontanément dans un groupe d’enfants sans guide.
C’est bien beau tout ça mais :
Comment gérer les enfants qui choisissent toujours le même type d’activité ?
Que mettre comme contenus ? L’affichage étant ouvert, comment savoir ce que les enfants apprennent ? S’ils peuvent faire ce qu’ils veulent ils n’apprendront rien !
Que faire avec les timides ? Les inhibés ? Les réputés sans imagination ? Les agressifs ? Les « promeneurs » qui regardent et ne font rien ? Les qui n’aiment que jouer ? Les culturellement « défavorisés » ? Les tout-petits ?
Ces questions sont pertinentes et nous ouvrirons un épisode spécial dans la rubrique témoignages pour y répondre.
Album de la mémoire du groupe.
Cela peut être un de ces gros albums d’échantillons de papiers peints obtenus, quand ils sont périmés, dans les commerces spécialisés.
Mémoire du groupe qui se remplira petit à petit de la relation d’évènements marquants vécus à l’école. Cette mémoire illustrée de photos, dessins, écrits, peintures… est destinée à souder le groupe par l’investissement de chacun quel que soit son âge, et son habileté. Merveilleux outils de communication aux parents, il leur fera comprendre la richesse de la vie du jardin d’enfance. En le consultant, les enfants se construiront des repères dans le temps et les verbaliseront : C’était hier…Avant l’anniversaire de Michel… Après le carnaval mais avant que la neige soit là … !
Relater des évènements marquants suppose une décision collégiale, ne suppose pas une obligation régulière de rédaction. Seulement quand cela s’impose.
Panneau des responsabilités
Connu de beaucoup de classes maternelles, (parfois appelé tableau des charges) il sera imagé, coloré, incitant aux rangements (on sait combien il est compliqué de réunir des volontaires pour «ranger »). Des trios seront formés, un petit, un moyen, un grand, trios décidés par l’adulte qui connait les personnalités et a à cœur d’associer les « contraires ». Au moment des rangements une musique allègre surprendra tout le monde en train de s’activer. Ce signal agréable entraînera peu à peu un automatisme : on peut encore achever ce qu’on est en train de faire mais si le son augmente un peu, là on se met à ranger ; les aînés prennent les choses en main accompagnés de leurs coresponsables.
On sera, évidemment, attentifs à ce que les responsables ne soient pas taillables et corvéables à merci… Chacun range le matériel qu’il a utilisé mais les responsables vérifient, aident, incitent leurs pairs à s’impliquer. Si ceci est vécu dès 2ans1/2, 3 ans, les habitudes créées rendent ces responsabilités de plus en plus aisées.
S’il est appréciable que le milieu de vie des enfants soit organisé en espaces d’activités diversifiées, il est tout aussi appréciable qu’il soit enrichi en permanence afin de permettre aux activités librement choisies, oserions-nous dire spontanées, de devenir des découvertes de plus en plus élaborées.
En effet, il ne faut pas seulement laisser jouer (donc apprendre) au jardin d’enfance, il faut tout faire pour que les enfants y jouent le plus et le mieux possible.
Si les enfants ont le libre choix de leurs activités, celles-ci seront évaluées grâce au climat, que nous appellerons « d’activité joyeuse » qui y règne.
Les comportements que nous vivons mal comme agressivité, taquineries désobligeantes, cris, vagabondage… sont le plus souvent le résultat du désintérêt pour la tâche pourtant choisie.
L’enrichissement des espaces organisés, par sa nouveauté même, dope le plaisir de participer, augmente les découvertes, favorise la communication entre enfants et entre un adulte-un enfant.
Nous citerons deux possibilités (parmi d’autres) d’enrichissement efficace :
Quelques exemples de cet enrichissement, mis à part celui dont nous avons déjà parlé, qui est de choisir, le plus fréquemment possible, un matériel modulable et informel : caissettes en bois ou en carton, petits bassins d’eau plutôt qu’un grand bac où les expérimentations se perdent, plaquettes de bois (kapla ou autres chutes de parquets)…
Au coin des poupées,
Découverte au fil des jours ou des semaines :
– Dans le tiroir : des nouveaux tissus de toutes sortes, taille, texture, couleur…
– Dans l’armoire des poupées : des toasts, de la confiture, des biscuits… qui n’étaient pas là hier.
– Un jour, on invite une maman qui vient donner le biberon ou le sein à la petite sœur de …
– Ou qui donnera le bain…
– On découvre un livre qui raconte un évènement familial…
– …
À l’expression artistique, petit à petit :
– Varier les supports : au chevalet, au mur, sur la table…
– Varier la texture : feuille de papier lisse, rugueuse, ondulée, brillante, mate…
– Varier le type de peinture : aquarelle, gouache, pâte colorée…
– Varier les pinceaux, du plus épais au plus mince…
– Mettre à la disposition des « artistes » des reproductions de peintres connus ou inconnus : Matisse, Picasso, Velasquez, le Douanier Rousseau, l’école Cobra, artistes des cultures variées présentes dans la classe… la bibliothèque est également une ressource d’illustrations variées, de langues variées, livres enfantins ou autres, représentatifs des cultures du monde mais aussi des cultures sociales de notre société
– …
Évidemment, on se gardera bien de demander une peinture« à la manière de » mais plutôt un mélange des genres et des couleurs que chacun fera revivre à sa manière…
Il est agréable, donc stimulant que les ‘enrichissements’ soient librement découverts car ils sont un langage (« Tout est langage », écrivait Françoise Dolto) ; les enfants les ressentent, sans qu’il soit utile de le souligner, comme des marques d’affection. Ils resserrent les liens.
Expérimentation-recherche :
Un matériel ouvert, insolite, permettant beaucoup de manipulations et de découvertes place l’adulte dans une attitude d’admiration devant le génie des ‘découvreurs’ ; ce sont deux ou trois enfants, qui se surprennent de leurs résultats et ont envie de les communiquer : « Eh, venez voir ce qu’on a trouvé ! »
Ces moments de grâce font un bien fou à la maîtresse. En abandonnant la fonction de censeur, elle allège son rôle et, oserais-je le dire, elle entre en affection avec son métier qui devient un art de vivre. Elle sera plus sensible à ce que tous les enfants se reconnaissent, retrouvent leur culture même si celle-ci est moins reconnue voire appréciée par le milieu scolaire.
Donc pas de Petit Bourgeois Gentilhomme (Alain Accardo. éd. Contrefeux, Agone) mais une richesse immense de points de vue, de mentalités, de tournures d’esprit loin de « la » pensée unique fut-elle scolaire !
Ici, c’est l’enseignant qui guide la recherche, la clé étant de lier les apprentissages réalisés antérieurement, spontanément ou non, et d’amener ainsi les enfants, progressivement, sur le chemin de la conceptualisation : formuler des hypothèses, vérifier, conceptualiser… tout en sachant que ce chemin sera long à parcourir et la lenteur une richesse à conquérir :
– « Ce n’est pas en tirant sur la queue des têtards que l’on fait grandir les grenouilles »
– Le véritable apprentissage se nourrit de lenteur (Bachelard)
– Oserai-je exposer la plus utile règle de toute éducation, ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. (J.J.Rousseau. Émile ou de l’Éducation. Paris. Gallimard p.112)
Activités d’initiations mathématiques : toujours annoncer la consigne avant le choix des enfants, pas de piège ! Des verbes d’action à l’impératif, situent la contrainte.
– Inventez des embûches à proposer aux autres au jeu de l’oie…
– Utilisez le compas, le rapporteur, l’équerre pour réaliser un dessin à trois…
– Inventez toutes sortes de figures avec le tan gram et les dessiner pour les mettre dans le classeur de recherches à proposer aux autres…
– Choisissez une feuille du dit classeur et reproduisez-la, ou complétez-la…
– Jouez au jeu de l’oie, mais avec le nombre du dé rouge on avance et avec celui du dé vert on recule… ou avec celui qui marque le plus grand nombre on avance, avec l’autre on recule…
– Jouez à un nouveau jeu de coopération (avec l’adulte ou avec un aîné qui le connait déjà…)
– Tirez au sort, avec les dés adéquats, les blocs Diènes et à trois ou quatre participants, construire un village en tenant compte des grandeurs, des couleurs, des épaisseurs…
– …
Dans ces contraintes créatives, toute la créativité de l’enseignant a sa place. Lui, sait observer ce que l’enfant ou le petit groupe d’enfants découvrent et l’impulsion qu’il faut y mettre afin de créer l’étincelle de l’« eurêka » !
Ce sont les résultats de ces impulsions qui, après une mise en mots, permettront, à partir des découvertes spontanées au sein d’activités organisées, une capitalisation d’expériences dans laquelle nos futurs écoliers puiseront les hypothèses et les vérifications indispensables à la conceptualisation dont nous parlions plus haut.
Engranger une banque de données, d’expérience vécues ensemble dans le milieu scolaire, grâce à un matériel varié et à des consignes créatives, nées de cheminements personnels et/ou communs à de petits groupes d’enfants, le plus possibles hétérogènes en âge et en milieu social ou ethnique sont la caractéristique d’un jardin d’enfance équitable, d’Éducation Nouvelle.
Faire naître la jubilation
N’avons-nous pas plus de trois années, de 2 ½ à 6 ans pour faire naître cette jubilation de la découverte solidaire, du plaisir d’apprendre, du plaisir de chercher, du plaisir de s’exprimer, du plaisir de s’émouvoir et de vivre ses émotions quelles qu’elles soient !
Ne remplaçons pas une culture familiale par une culture scolaire, prenons appui sur la culture de chacun et surtout sur l’énorme potentiel (capacité) de chacun à s’enrichir de l’expérience de l’autre… La culture scolaire sera enrichie par les apports des cultures différentes sollicitées dans la classe.
La langue française nous permet de différencier les termes : apprivoiser et domestiquer…
Apprivoisons les différences, enrichissons les groupes du jardin d’enfance de toute la variété présente dans la société, sans hiérarchie, sans jugement de valeur.
Ne rognons pas les ailes des oies sauvages pour, ensuite, leur reprocher de plus pouvoir voler !
Va-t-on commencer par dire aux enfants ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire en arrivant le matin ?
Pas du tout.
…une troisième initiative heureuse. Ceux-ci habitent un quartier de ville délabré, beaucoup sont au chômage ; leur participation est importante grâce à un rituel de communication répété matin après matin.
Mais que font les enfants si les maîtresses sont en réunion ?
Il faut savoir qu’ici, les enfants accèdent directement à leur classe dès leur arrivée. Ils s’y activent immédiatement sans dépendre des adultes. Ce sont eux qui savent quel jeu, commencé la veille, les attend. La communication avec les parents est faite, dans la détente, l’écoute, la confiance et la discrétion : l’accent est mis sur l’admiration que les enseignantes ressentent pour chaque enfant ; jamais on n’entend dénigrer tel petit, dénoncer tel manquement (secret professionnel), Cette option vise à renforcer l’image narcissique des parents. Ceux-ci sont fiers et heureux de l’épanouissement des jeunes, ils ne ressentent pas le contact avec le jardin d’enfance comme un geste mécanique froid : pas de dépôt d’écolier à l’anonymat de la barrière…
Donc de nombreux parents, des mamans, des pères, des frères, des sœurs (interprètes !) sont là. Des élèves s’y mêlent parfois pour raconter leur vie, leurs projets, montrer des photos, des réalisations qui les enthousiasment.
Un papa prend un jour la parole : dans la famille, dans le quartier, on dit que Kévin est un génie, mais moi je réponds : « Allez voir à l’école du gamin, ils sont tous des génies ! » Applaudissements du public…
La base 5
Voilà des enfants qui se mettent directement aux activités programmées la veille. Trois élèves d’âges différents occupent le magasin « turc » organisé la semaine précédente.
Des cris fusent : « Oh, il y a des vraies boîtes, avec des vraies choses dedans ! »
L’institutrice, Marie, qui a rendu le milieu stimulant, s’approche :
– « Qu’allez-vous en faire ? »
– « On va les manger tiens ! »
– « Tout ? Pour vous tout seuls ? »
– « Non on va partager… »
– « Comment ? »
Une suggestion d’une petite fille : « Chez ma maman, on a fait des petites piques avec des choses à manger piquées dessus, pendant que les papas eux, ils boivent de la bière »
– « Ah tu veux dire des petites brochettes ? »
– « Oui »
Les trois protagonistes sont d’accord. On v a faire des brochettes pour la collation. Et ils commencent à compter les élèves.
« C’est trop, on n’arrive pas à compter, ils bougent tout le temps, c’est plus que 13 »
Marie intervient : « Vous savez compter jusque combien ? 5 est la réponse du plus jeune du trio. Bon, dit Marie alors je vous propose ceci :
– « Voici une boîte avec des bouchons et un panier, chaque fois que vous avez compté 5 enfants, vous mettez un bouchon dans le panier. »
– « Fastoche ! »
Et notre trio se met en route. Pendant ce temps-là les autres enfants s’activent à des activités variées préalablement choisies faites de jeux essentiellement. Nous les retrouverons réunis pour la dégustation.
Les « compteurs » sont autour d’une table, les boîtes de fruits ouvertes, les cure-dents sur une assiette et les bouchons dans le panier.
Une maman entre à ce moment, elle remarque le trio au travail et dit :
« Ah oui, les bouchons c’est pour que les fruits ne glissent pas ! »
« Non, on a compté, maintenant chaque fois qu’on prend un bouchon on doit faire 5 brochettes »
Les petites mains s’affairent, plus ou moins habiles… il y a 9 bouchons.
– « Avez-vous compté Mélissa et Jalila qui viennent d’arriver ? » demande l’institutrice.
– « Non » répond la plus jeune (3 ans) et elle prend 2 bouchons et les ajoute au panier…
Un aîné intervient : « C’est beaucoup trop, on va plutôt mettre deux allumettes ».
C’est le moment de regroupement après l’arrivée de tous et les premières activités libres dans un milieu organisé la veille.
Claire, l’institutrice, prend la parole après les préambules : le jour, les éphémérides, les anniversaires éventuels…
– « La semaine dernière vous aviez dessiné et écrit ce que vous aimeriez apprendre… Où en sommes-nous ?
– « Pierrine dit : « Je voulais apprendre à faire des crêpes avec Mathilde et Lola, mais c’est fait, tu peux enlever le dessin ».
– « Enzo déclare : « On voulait apprendre les règles du foot mais il pleut encore, ce sera pour demain…peut-être ! Tu laisses le dessin».
– « Corentin : « Je voulais apprendre à plier un avion pour qu’il vole, mais mon frère me l’a appris, tu peux enlever le dessin…Non, écris dessus que je veux bien l’apprendre aux autres » des cris fusent : Moi ! Moi ! Moi et Claire écrit les noms des amateurs.
Et la suite des désirs non encore réalisés se poursuit.
Dans ce regroupement, les idées des uns nourrissent les désirs des autres, c’est sans fin. Le plaisir d’apprendre est présent augmenté par le partage des rôles d’initiateurs à initiés, la maîtresse n’étant plus le seul recours des propositions ni des références. L’apprentissage mutuel se réalisera d’autant plus facilement qu’aucune hiérarchie ne sera mise entre les souhaits. C’est aussi bien d’apprendre les règles du foot, que de faire des crêpes, que de plier des avions, que de lire tranquillement, que de résoudre une énigme.
Le mélange des âges stimule le penchant naturel des petits à vouloir imiter les grands, c’est évident. Une classe uni/âge des petits serait appauvrie, moins gaie car coupée d’une fameuse source d’énergie venue des grands, ces fins connaisseurs des ressources du milieu qu’ils fréquentent depuis deux ans.
Mais aujourd’hui, voilà que le temps manque pour répondre aux projets individuels ou par petits groupes. Marie et Claire relancent alors le projet collectif : organiser une représentation théâtrale pour la fête de l’école. Celle-ci s’inclura dans le temps géré par tous, le plus naturellement du monde, le plus aisément en sous-groupes hétérogènes.
On peut toujours exprimer ses désirs ou ses refus, les expliquer, les situer, les organiser verbalement pour être compris de tous, les structurer dans le temps. On peut toujours oser prendre la parole, s’assurer de l’écoute de chacun, être certain d’être accueilli et accepté avec ses idées parfois venues d’ailleurs. On peut toujours se confier à un adulte bienveillant qui ne punit jamais mais, dans le dialogue, pose et explique les limites dans les initiatives, les droits et les devoirs de chacun.
Bref, une vraie culture de paix s’installe dès le jardin d’enfance.
Et les « tout-petits » alors ? Qui s’en occupe ? Ne sont-ils pas abandonnés ?
Ils vont, viennent, observent, imitent, écoutent, s’initient aux techniques souvent maladroitement. Ils font comme les grands, nous l’avons dit, mais… autrement.
Ils sont le plus souvent dans l’exploration créatrice libre, exploration du matériel, exploration des comportements des aînés, exploration des structures du langage habituellement déjà élaborées à 5 ans.
Ce n’est pas toujours le cas ? Le vécu hétérogène des facultés langagières, hétérogénéité due aux âges différents, aux sollicitations familiales plus ou moins structurées ou à une langue maternelle différente de celle de l’école. Cette hétérogénéité est moins culpabilisante, ‘clivante’ parce qu’elle fait partie du vécu quotidien et est acceptée comme un moment dans le processus de perfectionnement de la parole.
Il importe de parler à un enfant, de lui lire des histoires, comme s’il comprenait tout, parce qu’il comprend beaucoup, de ne pas attendre qu’il parle lui pour lui parler à lui, comme au début de la vie, la maman n’attend pas que son bébé parle pour lui parler, en n’oubliant pas évidemment le langage non verbal et le langage des émotions. S’adresser à un enfant s’avère plus efficace que bien des leçons dites de langage où l’adulte risque de monopoliser la parole aidée en cela par les petits « ténors » de la classe.
Une anecdote.
{Une jeune maman récemment installée à Paris, se voit convoquée par l’institutrice maternelle de sa petite fille de 4 ans. L’institutrice justifiait cette invitation pressante par un « problème grave à régler avec les parents ». La maman inquiète se rend donc à l’école et s’entend dire : « Elle ne pense qu’à jouer ! ».
Fait isolé que cette réponse de l’institutrice ? Nous voudrions le croire… mais c’est non. Dans la mentalité de la plupart des enseignantes de la maternelle, le jeu n’a pas à tenir une place prioritaire.
Jouer est placé en opposition avec travailler, la preuve en est que l’école habituelle donne des … récréations où, enfin, les bambins peuvent s’adonner à leur élan de vie, que l’on retrouve sous toutes les latitudes, dans le jeu libre. Alors que ces récréations ne sont pas autre chose que la poursuite des jeux mais dans un autre espace et avec d’autres partenaires.
Aussitôt la récré terminée, l’école scolaire reprend ses droits. Fini de rire. Il faut apprendre à colorier sans déborder, découper droit, nommer les couleurs, encastrer juste … là, le jeu est connoté, dévalorisé, souvent réservé aux tout-petits de la crèche ou de la classe que l’on appelle d’accueil.
Le jardin d’Enfance, lui, donne toute sa place au jeu, une place primordiale car il considère l’activité ludique comme un aliment complet, propice à la croissance de l’intelligence, de l’émotivité et du sens des autres. Il apprend la vie en société et apprend à connaître et interpréter le monde.
Le jeu sollicité, enrichi par l’adulte et les autres enfants, marche de pair avec la communication verbale et non verbale dans une quadruple rencontre. C’est, en effet, une rencontre avec les paramètres du jeu (nouveauté, limites, intérêt variété des matériaux), avec ce que l’on est soi-même (en imitant, en inventant, en observant de ce qui se passe), avec la maîtresse riche de sollicitations sous forme de chiquenaudes données pour relancer l’intérêt et, enfin, le plus souvent, avec les autres dont il faut impérativement tenir compte.
Bref, ainsi chaque enfant découvre les potentialités de son environnement élargi car là, il n’est pas seul devant une feuille à remplir.
Le jeu, par ailleurs, est un merveilleux outil d’inter culturalité exprimée de façon non verbale et verbale. Là, les enfants sont des partenaires vivant l’égalité. Là seulement, l’idée de l’un peut valoir l’idée de l’autre, ce qui n’est pas vrai lorsque une certaine conception de la pédagogie amène l’institutrice à installer des exercices papier/crayon pour formater des ‘écoliers’. On sait d’avance, dans ce cas, qui va satisfaire et qui, déjà, va échouer.
Dans le jeu gratuit, l’enfant manifeste sa culture et la partage par l’expression. De ces échanges naîtra une culture que nous préférons appeler culture de paix, recréée au gré des expressions d’un imaginaire partagé. Culture toujours en mouvance sans la suprématie de l’une sur l’autre, créative et solidaire, surprenante de richesses insoupçonnées, à inventer chaque jour, donc passionnante. Celle-ci n’est pas justifiée par des comportements et des savoirs répertoriés intellectuellement venus des programmes scolaires mais plutôt en cohérence avec Les 7 savoirs pour l’Education du Futur (Edgar Morin -sur internet).
Revenons donc au jeu au jardin d’enfance.
Comment donc reconnaître les éléments constitutifs du jeu/pulsion de vie, chantier d’apprentissages infinis tels que : durée, relief, résistance, consistance, température, excès ou carence, rareté, écologie, vitesse, accélération et décélération, épaisseur, masse, élasticité, tonalité, silence, émerveillement, responsabilité, partage, charme, humour, repos, risque, limites, solitude, tristesse, dépit, exaltation, estime de soi, confiance, non violence, écoute, empathie, confidence, secret, surprise, audace, respect…
Ouvert à tous les possibles, il ne comporte pas de programmation externe.
Fonctionnel, répondant à un besoin affectif, social, intellectuel de réaliser quelque chose qui a du sens pour l’enfant –« Je vais faire un bateau avec une bouteille en plastic pour les playmobils ».
Volontaire, le verbe jouer ne se conjugue pas à l’impératif.
Possédant ses règles, vécues et/ou transformées en commun.
Vécu avec plaisir, son moteur indispensable.
Symbolique et prenant racine dans le « faire semblant ».
Encadré par un lieu et un moment spécifiques concertés.
Eveillant le sentiment d’empathie, par le changement de rôle qui permet d’éprouver ses émotions et ensuite les émotions de l’autre.
Si nous jugeons que ces composantes sont légitimes et nécessaires, alors nous éviterons l’échec, aucun enfant ne sera perçu comme déficient.
Nous oublierons ces jeux coûteux, luxueux, qui obligent les enfants à ne suivre qu’une stratégie pour une ‘réussite’ ( ?) univoque.
Rabelais dénonçait déjà cette instruction artificielle qu’il appelait « l’art d’en sucrer les viandes ». A son époque, pas de réfrigérateur, partant, la viande était vite faisandée… à sucrer donc.
Livrons quelques pensées qui plaident en faveur du jeu au jardin d’enfance indemne.
« Deux choses empêchent l’enfant de jouer : la maladie et l’adulte ». (Moi)
« L’enfant qui joue à l’école maternelle s’initie à la vie scolaire …, et l’on oserait dire qu’il n’apprend rien en jouant ? » (Pauline Kergomard)
« Le jeu devrait être considéré comme l’activité la plus sérieuse de l’enfant » (Montaigne)
« C’est sur la base du jeu que s’édifie toute l’existence expérientielle de l’homme » (Winnicot)
« Le jeu et l’art sont des transformations de l’être avide d’exister » (Raimondo Dinello)
« L’enfant est un être qui joue et rien d’autre » ( Jean Château)
Jean Claude Arfouilloux précise que si, pour l’adulte le jeu est un divertissement, une distraction, il est vécu par l’enfant comme une activité sérieuse engageant toutes les ressources de la personnalité, activité par laquelle il s’expérimente et se construit.
« Au fur et à mesure que les enfants passent du bac à sable à la salle de classe, le jeu devrait être la pierre angulaire de leur éducation. La recherche est claire : La pédagogie par le jeu supporte les forces socio-affectives et scolaires tout en inculquant l’amour de l’apprentissage ». Centre d’excellence sur le développement des jeunes enfants – Hirsh-Pasek K, Golinkoff RM 2009)
Voilà qui conforte notre option en faveur de l’activité ludique ; cela fait du bien.
Pourquoi vouloir savoir ce que les enfants apprennent en jouant ?
Notre croyance de la nécessité d’un apprentissage programmé, du plus simple au plus compliqué n’est-il pas la cause d’une certaine inquiétude ? Notre souci d’évaluer les compétences acquises, en voie d’acquisition, non acquises ne pollue-t-il pas notre désir et notre plaisir d’observer les enfants en train d’apprendre dans la joie et l’insouciance ? Est-il si difficile de laisser tomber nos mécanismes de défense ? Est-il si difficile de faire confiance à l’enfant, à son désir de grandir, à sa curiosité, à son esprit de recherche ?
Mais quand les enfants jouent qu’est-ce que je fais moi ?
Remettre son rôle en question paraît malaisé, perdre la place centrale par laquelle nous justifions notre fonction, devenir celle par qui le plaisir naît. Cela peut s’avérer insécurisant. Notre envie de paraître sérieux en se référant aux travaux universitaires, notre soumission souvent inconsciente aux dictats extérieurs de productivité calibrée, tout cela pourrait nous donner une certaine légitimité … mais au prix de combien de renoncements à une qualité de vie, à la poésie de l’enfance vue avec des yeux d’enfant ?
Donc si nous sommes persuadés que l’enfant apprend en jouant, que les cultures s’enrichissent de leurs expressions librement manifestées, il nous reste à réfléchir au comment mettre en œuvre ces richesses que sont le jeu et l’expression dans une assemblée de citoyens de la maternelle.
Enrichir l’imaginaire, nous en avons parlé ; associer les enfants aux décisions, nous en avons parlé ; organiser un milieu riche de découvertes spontanées, nous en avons parlé aussi.
Nous préciserons volontiers le rôle de l’adulte dans ce contexte.
Devenir Initiateur de la culture de paix :
Anecdote :
Au bac de sable, deux gamins jouent avec des petites voitures. Ils ont un matériel varié : cartons, ciseaux, marqueurs, cubes en bois etc. à leur disposition. Un a 5 ans l’autre 3. Soudains des cris et des larmes alertent l’institutrice : le plus jeune sanglote, le grand serre contre lui une petite voiture.
« Que se passe-t-il ? » demande l’enseignante
« Y m’a pris ma voiture, celle de chez moi, dit l’aîné, alors je l’ai tapé pour qu’il me la rende »
« Tu aurais pu la lui demander, rétorque l’institutrice, et pas le frapper »
« Oui mais mon papa y tape tout de suite, lui »
« Tu aimes ça ? »
«Non»
« Et bien tu vois lui non plus. Tu aurais pu lui demander de te rendre ta voiture.
L’incident est clos, petit à petit, sans désavouer les parents aux yeux de l’enfant, tout en entendant le messages, l’adulte insiste pour une régulation pacifiée du conflit. Les enfants réconciliés se remettent à jouer. Cela s’est réglé entre les 2 enfants et l’adulte et ne fera en aucune façon l’objet d’une communication a l’assemblée des citoyens, ni à une dénonciation aux parents qui risqueraient de punir l’enfant à la maison. Secret professionnel oblige.
Observateur attentif :
Lors des moments de grâce, lorsque tout se passe tellement bien, que l’on en souhaiterait presque l’irruption de la directrice(teur).
Justement, on va prendre des photos, un film pour une réelle mise en mémoire du vécu d’activités joyeuses qui règne en ce moment, pour analyser ensuite le pourquoi de ce moment ‘suspendu’, pour alimenter une réunion de parents en suscitant l’admiration
Observer n’est pas épier, déceler les indices de perte d’intérêt, de l’indigence du matériel, de regroupements inadéquats est différent d’épier les comportements individuels et de se persuader qu’un tel est agressif, un tel est paresseux, une telle est tellement charmante, qu’une autre est menteuse…
« Quand ils me déçoivent qu’est-ce que je change dans mes pratiques ?« (GFEN) (N.B. Texte original du GFEN : « Quand ils ne réussissent pas…). Ce précepte devrait s’accompagner également de : « Quand ils me déçoivent qu’est-ce que je change dans mes attentes ? ».
Anecdote :
Dans une classe multi-âges nouvellement réaménagée, la bibliothèque n’a guère de succès. S’asseoir avec Madame pour l’écouter lire des histoires ? Oui. S’y installer seul ou en petits groupes pour regarder des livres ? Non. Les enfants apportent de temps en temps des magazines, des publicités… c’est tout.
Une idée germe dans la tête de la maîtresse. « Et si, les enfants pouvaient s’emparer des livres pour jouer comme mes enfants faisaient étant tout petits ? ». Les livres sont triés on garde ceux qui ont des couvertures souples à la disposition de « jeux » éventuels, mais les plus fragiles sont écartés.
Qu’a-t-on observé ? Peu à peu les livres ont changé de place, on en a retrouvé dans la poussette des poupées, dans le coffre des « patinettes », au magasin, dans certains cartables… lls ont fait l’objet d’échange, de cadeau lors de visites au coin poupées, de vente au magasin… Et, oh merveille, petit à petit, les coussins de la bibliothèque se sont vus honorés de la présence d’enfants enhardis, ayant apprivoisé l’objet livre en jouant.
Initiateur de solidarité dans l’équipe :
Il s’agit de :
– Partager avec les collègues ses réussites, ses questions, ses peurs, ses avancées.
– -Échanger des bons plans, des idées de jeu.
– -Ouvrir au dialogue entre pairs.
– -Échanger les classeurs d’idées, de recherche, de projets de petits groupes.
– -Organiser des regroupements d’enfants entre classes pour s’ouvrir aux activités multi-âges.
– -Prendre le risque de se livrer : sa culture, ses convictions, ses valeurs.
La culture de paix, en effet, ça se construit aussi entre adultes, ça s’apprend, de façon décomplexée et conviviale, ça donne du sens et ça réjouit.
Remarquons, en guise de conclusion, qu’en partant du jeu au jardin d’enfance, peu à peu, nous arrivons à un projet de société complexe mais passionnant.
E.E.
Et si nous envisagions la dictée à l’adulte comme incitation à la production d’écrits en maternelle quelque soit l’âge de nos élèves ?
Dictée à l’adulte ?
Quoi ? Comment ? Pourquoi ?
– En premier lieu viennent l’enrichissement…et la production,
– En deuxième lieu viennent l’enrichissement… et la production,
– En troisième lieu viennent l’enrichissement…et la production.
Lire, lire, lire à l’enfant, aux enfants, des histoires, des poèmes, des recettes, des modes d’emploi, des comptines, des petits mots, etc. Bref, enchanter par l’écoute de beaux textes variés, voilà qui est primordial parce que subliminal, profondément culturel.
La création d’écrits s’enracinera sur un terrain fertilisé, un terrain où les variations des formes d’écrits feront partie de la vie de chaque jour, où les formes diversifiées de textes seront utilisées pour le plaisir, pour réaliser une recette de cuisine, pour communiquer entre classes, pour se bercer, pour rêver, pour s’effrayer…
En permanence, entendre, écouter, se laisser charmer par la beauté de la langue, prendre conscience que ce n’est pas la même « musique » si l’écrit est utilitaire, ou psalmodié, ou injonctif, ou rimé, ou descriptif, ou rédigé en discours direct …
Anecdote
La récréation est terminée, tous s’installent sur le tapis et un enfant demande à la maîtresse : « Tu nous lis les mots qui chantent ? ».
La maîtresse prend un livre de poésies, poésies choisies, d’auteurs connus et reconnus : Desnos, Queneau, Prévert, Verlaine… l’ouvre au hasard et lit tranquillement donnant sens à la lecture par l’intonation de voix. L’auditoire est muet, concentré, sous le charme. Soudain un enfant kurde se lève et parle dans sa langue. « Tu vois, dit-il, ce n’est pas la même musique » Un autre, italien de langue maternelle fait de même et ce moment magique se termine par un petit marocain qui psalmodie…un verset du Coran.
Qui sait !
Différencier la langue écrite de la langue orale
Différencier la langue écrite de la langue orale c’est tout un apprentissage que certains enfants ont appréhendé avec le lait maternel ou le biberon. On n’écrit pas comme on parle, les mots lus doivent être chargés des émotions que les mimiques et le langage corporel apportent à la langue orale. Les mots lus à haute voix sont enrichis par l’intonation mise expressément par le lecteur.
Des parents lisent à leurs enfants dès le plus jeune âge, d’autres racontent des histoires sans nécessairement les lire, d’autres encore ne racontent, ni ne lisent et les enfants sont parfois confrontés à une langue d’injonctions utilitaires : « Fais ceci, ne fais pas ça, arrête, regarde la TV, assieds-toi, range tes affaires, etc. »
Des enseignants bien intentionnés situeront alors ces petits dans des milieux dits « culturellement défavorisés » ou les affubleront du terme d’ {« handicapés socioculturels ».
Bon ! Même si nous rejetons ces déclassements, le fait est là : l’approche est différente selon la culture familiale.
Que faire ? Nous avons 3 à 4 années de maternelle, pour enrichir la connaissance de tous vis-à-vis de l’approche de l’écrit, des écrits.
Donc il y a des « mots qui chantent », des « mots qui font peur », des « mots qui rassurent », des « mots du rêve », des « mots pour jouer au théâtre », des « mots qui indiquent le chemin pour réaliser une recette ou un bricolage ou des règles d’un jeu »…
Ces mots s’organisent en textes, en écrits, ils s’appellent : poésie, conte, histoire, lettre, mode d’emploi, règles du jeu, pièce de théâtre, aide-mémoire…
Imprégnation et Production seront liées. Simultanément : enrichissement et création alternent. En duo un adulte et un enfant ou en petit groupe 4 ou 5 enfants avec un adulte, ou collectivement en groupe classe, les enfants deviennent auteurs.
Le cahier de dessins et textes écrits :
Dès 2 ans et demi, et cela jusqu’à 6 ans, ce sera une succession de cahiers tout simples, souples, dans lesquels les enfants seront incités à dessiner ce qu’ils souhaitent sur la page de gauche et ensuite à raconter à l’adulte leur dessin, celui-ci l’écrira sur la page de droite. Toujours faudra-t-il insister sur le fait que le dessin sera « raconté ». C’est un cahier de textes pas seulement de dessins.
L’adulte intervient : Qu’est-ce qui se passe dans ton dessin ? Raconte-moi…
Au début le petit énumère : « C’est une auto, c’est une maison, c’est un ballon » la maîtresse intervient pour structurer la pensée : « C’est l’auto de qui ? Qui est-ce qui joue au ballon ? » Si l’enfant ne répond pas, la maîtresse écrit les mots sans commentaires et ajoute : « Si tu veux, tu peux recopier les mots en dessous des miens. » Quelques gribouillis illisibles s’écrivent. Sans commentaires de la maîtresse.
Après quelques temps, l’enfant va raconter à sa façon : « C’est mon papa qui revient, eh ben, ya ma maman dans la maison, euh…le ballon est sur la route… »
Tu me dis : « Mon papa revient en auto et ma maman est dans la maison ? C’est bien ça ? Cela te va si j’écris cette phrase ? »
« Oui mais ya aussi mon petit frère qui joue au ballon et alors il l’a fait rouler sur la route…, »
Je répète, dit l’adulte : « Mon papa revient en auto, ma maman est dans la maison mais mon petit frère a fait rouler le ballon sur la route » Tu es d’accord ? C’est bien ça que tu veux dire ?
« J’écris la phrase sur la page de droite et si tu le souhaites tu peux la recopier en dessous. » Avec le récit de plus en plus construit la reproduction écrite de la phrase se fera de plus en plus lisible.
Amener l’enfant à différencier l’oral de l’écrit. On n’écrit pas tout à fait comme on parle, il faut passer par de l’oral « écrivable » (L.Lentin). Petit à petit la production d’écrit s’enrichira de phrases complexes. Ici par exemple : « Mon papa revient en auto et voit le ballon de mon petit frère qui roule sur la route. Maman qui est dans la maison crie : Attention tu vas l’écraser ! »
Plus l’enrichissement sera fréquent, plus les textes deviendront explicites et c’est en dessinant que les enfants anticiperont l’histoire qu’ils veulent raconter, ils passeront de la juxtaposition d’objets à nommer, à de véritables saynètes de la vie courante, ils y mêleront les sentiments comme la joie, la colère, la peur ou la tristesse. Ils comprendront aussi que la reproduction du texte écrit permettra à tous de lire ce qu’ils ont vraiment écrit.
La permanence de l’écrit et son utilité se comprennent très tôt.
Souvent les enfants redemandent qu’on leur lise une histoire aimée et souvent lue. Si la maîtresse ou la maman passe une phrase, ou change un mot, le gamin s’étonne : « Non tu as oublié… » « Non, ce n’est pas comme ça… »
Vers 4 ou 5 ans il ou elle dira peu à peu : « Il est où le mot LOUP ou LAPIN ou MANGE ou PEUR… »
D’autres approches de production d’écrits sont très utiles et se vivront au Jardin d’Enfance, où petit-à-petit l’aisance face à cette production permettra une effervescence, une libération de l’imaginaire, un dépassement par l’humour, la mise à distance.
Quelques réflexions destinées à ne pas tarir la source de ces productions :
– – Jamais de jugements négatifs,
– – Jamais de moqueries des camarades devant des maladresses,
– – Pas de socialisation des productions sans accord préalable de l’auteur,
– – La production poétique ne s’explique pas, ne se corrige pas,
– – Seuls les écrits conventionnels, lettres, demandes, invitations etc. seront normalisées et corrigées car ouvertes socialement,
– – Des dessins écrits de type « intimes » resteront impérativement intimes !
Tout en nous enrichissant, en écoutant la lecture de livres et en nous exerçant à la production d’écrits, nous passerons obligatoirement par La grammaire de l’imagination de Gianni Rodari, indispensable. Ce livre nous apprendra de façon absolument merveilleuse à débloquer notre imaginaire, à nous désinhiber et à jouer sur la gamme des humours jouissifs.
Eugénie Eloy (GBEN)
12/12/2012