By Michel Neumayer | Published | Aucun commentaire
Retour au calme, le cerveau s’apaise, les émotions se déposent, les idées décantent.
Aucun regret, aucune critique, ce qui est, est. Ce qui a été fait, est fait, et chacun à fait de son mieux.
L’accueil et le sourire bienveillant de chacun, ici à Mahdia, celui du personnel aussi, celui des femmes de ménage et des serveurs, m’a conquis et à stimulé l’envie d’être accueillant, moi aussi, et de sourire à chacun. D’où cette chaleureuse expérience.
Et je lâche prise sur toutes les péripéties. Je garde surtout en mémoire combien les uns et les autres ont cherché à aplanir les choses dérangeantes avec doigté et patience. Mounira et Heger étant les championnes dans cet art difficile.
Ma réflexion va porter essentiellement sur le contenu de la rencontre, le programme, et ce qu’il en est advenu. Là où j’ai pris ma part, là où se jouent les ressources que chacun emporte en rentrant chez soi.
Une conclusion personnelle d’abord : après tout, rien n’importe plus que l’art de contribuer au bonheur des hommes et des femmes dans un monde viable et harmonieux. Les enseignants et les éducateurs y ont leur part en éveillant les esprits aux valeurs de paix, de dignité, de justice, qu’on appelle cela démocratie, printemps des apprentissages ou encore « la réussite du vivre ensemble ».
Encore faut-il entendre « ensemble » dans son sens le plus large, et dans ses différentes dimensions, depuis la « communauté d’apprentissage », la classe, ou la cellule familiale, jusqu’à englober ce « nouveau paradigme » qui postule que nous formons tous, humain (et non humains) une Unité de vie sur terre. Qui survivra « ensemble » ou périra.
Chacun est-il rentré chez soi davantage convaincu du droit de chacun à réussir sa vie (le mot « réussir » tout court m’apparait un peu vague !) et de la place qu’il a à prendre dans cet immense chantier collectif qui est de construire un monde plus juste où chacun est reconnu dans sa dignité, le droit de vivre dignement, accepté par les autres dans son originalité propre.
Tiens, à propos, nous avons reçu, au LIEN, un message d’Anny Gleyroux qui dit cela si bien avec ses mots :
« … cette scène où on joue à plusieurs mains une partition bien vivante pour animer un monde plus humain, comme vous avez pu le réaliser surement en Tunisie ce mois-ci, tout ceci reste une voie de connexion des femmes et des hommes qu’il faut alimenter contre les tonnes de fatalités qui nous sont déversées tous les jours. »
En quoi notre manière d’aborder les problèmes est-elle « nouvelle » ? Qu’avons-nous de « nouveau » à apporter dans le concert mondial des acteurs-militants d’une vie meilleure pour tous ?
Le concept d’Education nouvelle implique logiquement la notion d’innovation. Paradoxe !
Parce que le mot m’effraie. L’innovation ne serait-elle pas un avatar du capitalisme et de la croissance, dont elle est l’essence (innover ou disparaître, disent les industriels et les publicitaires, innover à n’importe quel prix – généralement payé par d’autres !).
Et si le « nouveau » pouvait être une vieille histoire, comme nous l’a rappelé Mounira avec sa Carte blanche « Une école tunisienne travaillant en 1949 dans l’esprit de l’Education nouvelle »?
Jacques Vonèche, qui succéda à Piaget à Genève, nous disait un jour, au Groupe Belge d’EN, qu’en pédagogie, il n’y avait rien de nouveau, mais seulement des cycles ou les vagues anciennes redevenaient actuelles avant de laisser place à l’autres… (J’apprends qu’une équipe du ministère de l’Education (Fédération Wallonie-Bruxelles) planche actuellement sur un « Pass Inclusion », un projet qui revisite ce que nous faisions dans
les années 90 en cycle 5/8, dont le dossier d’accompagnement des élèves en difficulté que j’avais repris en 2005 et qui a servi de base à l’atelier proposé à Mahdia. Philippe Meirieu de son côté reprend certains de ses anciens articles pour commenter ce dossier que je vous présente par ailleurs, et qui est basé sur son livre de 1989)
Il nous faut de toute façon, comme à Mahdia, faire preuve d’imagination, de créativité et d’ouverture d’esprit.Pour tracer de nouvelles pistes, de nouvelles manières de faire, recycler les anciennes pour tenir compte des nouvelles données du « nouveau » monde à construire ensemble, ici, là, et partout.
La nouveauté absolue, c’est que le gâteau à partager n’est pas extensible. Et l’innovation technologique n’y changera rien. Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir le partager. Sept, et bientôt dix milliards d’humains.
Heureusement, la « sobriété heureuse », (Pierre Rabhi) existe. Ou la « Prospérité sans croissance » (Tim Jackson). (1) Mais cela ne suffira pas, et c’est la critique qu’on peut faire à Tim Jackson.
Il faudra plus de justice dans la répartition. Le pouvoir des plus forts – les hommes par exemple – sur les plus faibles – les femmes par exemple, le pouvoir des anciens sur les jeunes, des urbains sur les ruraux, des clercs sur les laïcs, des maîtres sur les élèves, des « copains » (du clan) sur les « étrangers », des murs, des grillages et des check-points sur les portes et les fenêtres, des militaires sur les civils, des mains fermées sur les mains ouvertes, tout cela devra bientôt finir, si l’on veut survivre.
Education nouvelle et révolution ! Beau sujet de réflexion… Pour autant qu’il s’agisse d’une révolution intérieure autant qu’extérieure, je préfère le concept de révolution à celui d’innovation.
Fondamentalement, on est au cœur de la « Culture de paix ».
Nous avons clôturé la rencontre de Mahdia. Chacun est rentré chez soi. Quelle révolution chacun a-t-il accompli pour lui-même ? Qu’a-t-il appris qui remet en question une action, une idée, un sentiment ou une habitude ?
Comment mettre des mots sur « en quoi suis-je différent, après ces quatre jours ? »
Et moi ?
Plus lourd de toutes ces nouvelles personnes rencontrées, mais plus léger, porté par tous ces sourires. Porté par toutes les personnes qui ont cheminé avec moi, dans la même direction, soutenus par leurs propres recherches et découvertes. Soutien – soutènement, étayage – collectif, international – transnational – de l’édifice que je contribue à construire. Comme chacun, en faisant « ma part », fusse celle du colibri.
Connaissez-vous l'histoire du colibri, une légende amérindienne ? Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie dans la forêt. Tous les animaux terrifiés observaient, impuissants, le désastre. Seul le petit colibri s'active, allant chercher quelques gouttes d'eau dans son bec pour les jeter sur le feu. Au bout d'un moment, le tatou, agacé par ses agissements dérisoires, lui dit : « Colibri, tu sais que tu ne peux rien, tout seul contre cet incendie, la goutte que tu jettes dans les flammes n’a aucune chance de l’éteindre ? » « Je sais », dit le colibri, « mais je fais ma part »
Michel Simonis,
GBEN
(1) « Au fil de ce livre provocant et qui tombe à point nommé, Tim Jackson interroge la signification de la prospérité dans un tel monde, et l’idée selon laquelle la croissance économique constituerait l’unique voie d’accès à cette prospérité. Personne ne nie que le développement économique est essentiel à l’amélioration de la satisfaction des besoins de base dans les pays les plus pauvres mais la contribution fondamentale de Jackson consiste à remettre en question le préjugé qui voudrait que la croissance continue de la consommation, sans égard aux questions d’équité et de soutenabilité, puisse vraiment assurer la prospérité de chacun. La question au cœur de ce livre est essentiellement une question de justice sociale.
Jackson nous invite à regarder au-delà des conceptions habituelles du progrès social, et à affronter les défis économiques du futur. Certains de ces défis sont déjà anciens: comment assurer le droit de chacun à un niveau de vie décent, au logement, à la santé, à la nourriture, l’emploi, la vie de famille et la sécurité économique? D’autres sont moins familiers mais tout aussi urgents. Les dangers du changement climatique, de la déforestation accélérée, des pénuries à venir en eau, nourriture et énergie constituent autant de menaces urgentes pour l’existence des êtres humains partout sur la planète. Ce seront inévitablement les pauvres et les personnes les plus vulnérables qui en souffriront le plus.
Que peut bien signifier la prospérité dans un monde de 9 milliards d’habitants vivant sous la menace du changement climatique et de la pénurie des ressources? Une chose est absolument claire: ça ne peut pas signifier « business as usual ». Ça ne peut pas signifier « un peu plus de la même chose ». Même si la crise économique mondiale actuelle devait « s’en aller », l’idée que nos systèmes et nos politiques économiques du jour puissent résoudre les problèmes de demain ne paraît pas crédible.
Les droits de l’homme et la prospérité sont intimement liés. La DUDH demeure un programme fondamental pour une prospérité qui ait du sens. Une économie nouvelle et adaptée à cet objectif constitue un ingrédient indispensable à la réalisation de cette promesse. J’ai l’espoir que les idées importantes que ce livre recèle contribueront à cette tâche. »
Mary Robinson Présidente de Realizing Rights : The Ethical Globalization Initiative Haut-Commissaire de l’ONU aux Droits de l’Homme (1997-2002) Présidente irlandaise (1990-1997)
Ne voilà-t-il pas de nouvelles pistes de réflexion pour l’Education « nouvelle » ? Je pense que c’est un bon cadre où pourrait – devrait ? – s’inscrire l’Education nouvelle à l’avenir, partout dans le monde.
Michel Simonis
Relu le 11 août 2012