By Michel Neumayer | Published | Aucun commentaire
En janvier 1922 paraissait le premier numéro de “Pour l’ère nouvelle”, la revue internationale d’éducation nouvelle, organe de La Ligue internationale pour l’Éducation nouvelle. La Revue se présentait à sa propre Une en ces termes : “Pour l’ère nouvelle est la revue des pionniers de l’éducation”.
La Ligue avait été fondée au premier Congrès international de l’Éducation nouvelle le 6 août 1921 à Calais. Ce congrès avait été organisé par Adolphe Ferrière, fondateur du Bureau international des Écoles nouvelles, créé à Genève en 1899, afin d’établir un lien entre les écoles nouvelles et les faire connaître. Le but premier était de travailler à une humanité qui voudrait la paix. Nous étions au lendemain de la guerre de 14-18 qui venait de bouleverser l’humanité. Parmi ces pionniers, se trouvait l’association créée en 1901 L’Éducation nouvelle, groupe d’études, de recherches et d’expériences éducatives qui allait être nommée, dès 1929 Groupe français d’éducation nouvelle.
L’édition française de Pour l’Ère nouvelle fut prise en charge par Adolphe Ferrière. L’édition anglaise par Béatrice Ensor et Alexander Sutherland Neill (l’auteur de Libres enfants de Summerhill). L’édition allemande par Elisabeth Rotten.
En 1925, l’administration de Pour l’ère nouvelle passait à La France, avec comme comité de rédaction : Paul Fauconnet, professeur de psychologie et pédagogie à la Sorbonne, le Dr Ovide Decroly, professeur à l’université en Belgique et toujours Adolphe Ferrière pour la Suisse.
En 1929, l’administration et la rédaction de Pour l’ère nouvelle passait alors “naturellement” au fraichement nommé Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN). On retrouve sur la Une de la revue les noms de Ferrière et de Decroly. Fauconnet a disparu mais le Dr Pieron professeur au collège de France, Jean Piaget, alors directeur du Bureau international de l’Éducation à Genève et Henri Wallon, professeur à la Sorbonne ont rejoint le comité de rédaction.
Pour l’ère nouvelle paraîtra jusqu’en 1960… Heure où les sciences de l’éducation vont prendre un essor fou dans les universités européennes. Le travail de recherche en éducation nouvelle, orienté au début du XXe siècle par la question unique et unificatrice “Comment faire au mieux pour éduquer l’homme ?”, va alors exploser en sous questions indépendantes avec l’avènement des sciences de l’éducation. Le XXe siècle, et surtout sa seconde moitié, sera celui du passage d’une science de l’éducation —au singulier et à peine ébauchée— aux Sciences de l’éducation, une singulière discipline plurielle, constituée de sciences contributives existant déjà dans d’autres facultés de l’université (ex. psychologie, sociologie, histoire, philosophie, etc).” Les didacticiens des disciplines s’autoproclament alors les spécialistes de la transmission des savoirs disciplinaires. De manière certaine, “la science de l’éducation unitaire des ensembles pensés, va faire place alors à la science indéfiniment parcellaire des faits éducatifs à établir.” C’est ainsi que Daniel Hameline, historien et philosophe, commente ce basculement de la science de l’éducation (établie entre autres par les pionniers de l’Éducation nouvelle) aux sciences de l’éducation. Il sait que la bascule n’est pas “un simple accident linguistique”… Son humour ne cache pas un certain regret, que partagent déjà bien d’autres chercheurs face à la difficulté actuelle de donner à la discipline “sciences de l’éducation” une cohérence à sa recherche.
La recherche s’est alors divisée en deux grands blocs, avec un fossé les séparant allant s’élargissant : d’un côté les Sciences de l’éducation et sa recherche sur l’éducation. De l’autre les Mouvements pédagogiques et leurs recherches en et pour l’éducation. Avec quelques personnes naviguant entre les deux océans. Une dichotomie qui n’a pas fini de séparer théorie et pratique, fond et forme, instruction et éducation… Des éléments que la recherche de l’Éducation nouvelle tentait et tente toujours, au contraire, d’articuler avec toute la dialectique et la systémique nécessaires.
L’histoire de l’Éducation nouvelle nous montre, si on veut bien s’y intéresser et il faudra bien qu’on le fasse un jour avec sérieux, que le LIEN (Lien international de l’Éducation nouvelle) est héritier de la LIGUE. Un des maillons les plus solides entre les deux étant très certainement le travail du GFEN qui a continué à organiser des rencontres internationales de l’Éducation nouvelle.
Ces premières Rencontres internationales du LIEN ne pouvaient et ne voulaient pas renier être les héritières de la Revue Pour l’ère nouvelle. Certes les temps et les termes ont changé. Mais combien de combats et de problématiques sont toujours les mêmes. Lire Pour l’ère nouvelle —qui paraissait 10 fois l’an—, nous montre les efforts réalisés par nos collègues pionniers pour qu’advienne une autre éducation. La revue est emplie d’espoirs et d’utopies. Mais tout autant d’efforts intellectuels intenses, de désir de lucidité, d’envie de chercher en profondeur, de preuves d’alliances entre chercheurs-praticiens et praticiens-chercheurs de tous bords. Le désir de communiquer pour apprendre à vivre ensemble est immense. Aussi fort que le nôtre aujourd’hui.
Ces premières rencontres du LIEN n’ont pas plus oublié les premiers Congrès internationaux d’Éducation nouvelle qui regroupaient des centaines de personnes provenant de pays multiples. Ainsi à Calais en 1922, les délégués arrivaient de France, d’Angleterre, de Belgique de Suisse, d’Irlande, d’Ecosse, des Indes, d’Italie, d’Espagne, de Hollande, de Suède, de Tchéco-Slovaquie, de Yougoslavie, de Russie. Tous poursuivaient, en reprenant les termes du premier numéro de Pour l’ère nouvelle , “le même noble idéal : l’Éducation, au plus haut sens du terme.” C’est bien toujours l’éducation et toute sa complexité qui nous intéresse.
Puisse le LIEN naissant savoir conserver la flamme et les espoirs de dignité humaine de cet héritage international. Mais puisse-t-il aussi savoir opérer avec lui toutes les ruptures nécessaires que les pionniers de l’Education nouvelle seraient les premiers à nous encourager à faire aujourd’hui. Pour affronter au mieux les obstacles liés aux formes nouvelles que peut prendre aujourd’hui la destruction de cette dignité humaine dans le monde qu’ils voulaient grandissante, nous avons à opérer tant dans la continuité qu’en ouvrant des pistes nouvelles. La première rupture franche s’est opérée à St Cergue en Suisse quand nous avons décidé de ne point reprendre le nom de LIGUE et avons opté pour celui de LIEN. Cette rupture symbolique a été jugée nécessaire pour poursuivre justement le défrichage commencé par les pionniers de l’Education nouvelle. Ces pionniers que nous voulons continuer à être. Car nous savons aujourd’hui, plus qu’au début du siècle dernier peut-être, que ce défrichage ne fait que commencer. Mieux qu’il ne sera jamais achevé….
Alors au travail le LIEN par l’action et la réflexion bien sûr ! Ta longue vie est d’ores et déjà assurée !